Un vaste programme de recherche internationale sur la résilience dans les soins de santé (RiH - Resilience in Healthcare Research Program, impliquant des chercheurs de Norvège, d'Angleterre, des Pays-Bas, d'Australie, du Japon et de Suisse sur une période de cinq ans (2018-2023) vient de se terminer. Il constitue la première grande étude de la résilience sur la capacité d'adaptation des soins de santé en contexte. Il a conduit à formuler 8 conseils et recommandations à l'intention des décideurs politiques.
Les systèmes de santé et de soins sont sous pression, notamment avec l’évolution sociologique des patients, plus âgés, plus nombreux, plus fragiles. La pression de la demande et les problèmes d’effectifs (à la fois liés à la réduction du temps de travail et aux difficultés objectives de recrutement) rendent plus délicat le respect des soins de haute qualité.
Les équipes doivent s’adapter chaque jour à ces conditions de travail plus difficiles. Elles le font plutôt bien en général, mais avec des différences notables d’un cas à l’autre, d’un établissement à l’autre, et parfois hélas aussi en commettant erreurs et oublis au préjudice des patients.
La réponse idéale et traditionnelle à cette situation difficile pourrait être d’en rechercher et supprimer les causes pour une remise en conformité, réduire la pression de la demande, et embaucher plus de personnel qualifié. Mais, tout le monde s’accordera pour dire que cette mise en conformité est une utopie dans le contexte sociologique actuel, en tout cas pour la plupart des services hospitaliers et des soins primaires.
Dans ce contexte, le taux d’événements indésirables associés aux soins (EIAS) affectant les patients hospitalisés s’élève de 5 % à 10 %. Ce taux est plutôt en augmentation constante pour tous les soins quotidiens :
Le seul point positif de la littérature reste l’efficacité (survie) et la baisse de complications des soins hyper-techniques (cancérologie, imagerie, cardiologie interventionnelle, prise en charge des AVC, chirurgie réglée complexe…). Mais encore faut-il accéder à ces soins pour tous et sans différence sociologique ou de territoire, dans les temps impartis et auprès des bons professionnels, ce qui n’est plus totalement garanti.
Ce paysage dégradé de manque d’effectifs en santé et de pression croissante de la demande possède une autre caractéristique : sa dimension mondiale.
Les mêmes difficultés touchent tous les pays riches. La France se situe dans le milieu de peloton des pays concernés (avec l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Suède). Les plus atteints restent les États-Unis, ou le Royaume-Uni ; et ceux qui le sont à peine mieux sont notamment le Japon, la Norvège, l’Australie, ou encore le Danemark. Aucun n’est épargné, aucun n’a de remède miracle pour revenir aux conditions nominales.
Si l’on admet que le retour aux conditions idéales reste impossible pour longtemps, la délivrance de soins sûrs exige donc d’accepter la réalité, et d’introduire plus de compensation et d’adaptation de la part des professionnels et organisations avec l’acquisition de nouvelles qualités individuelles.
En bref : introduire plus de résilience (pour plus de détails consulter notre article "Faut-il oser former sur les situations où tous les standards de soins ne peuvent plus être respectés").
La résilience peut être définie comme la capacité à s'adapter aux défis et aux changements à différents niveaux du système, afin de maintenir des soins de haute qualité. La recherche sur la résilience se concentre sur la compréhension de la variabilité et de la manière dont les résultats positifs sont générés dans le monde réel de la pratique plutôt que dans des études contrôlées artificiellement.
Ces approches mettent en évidence le fait que des soins de haute qualité sont le résultat du travail clinique quotidien - des processus en action dans les systèmes de soins de santé, dans les organisations et les environnements de soins.
Il reste que ces nouvelles approches sur la résilience ont été critiquées pour leur manque de rigueur, de descriptions pratiques clairement définies, de méthodes, d'outils et d'activités pour soutenir les concepts et la théorie ("A resilience view on health system resilience : a scoping review of empirical studies and reviews", Copeland et al, 2023).
C’est pour combler ce manque méthodologique que la Norvège a lancé en 2018 un vaste programme de recherche internationale sur la résilience dans les soins de santé ("RiH- Resilience in Healthcare Research Program", Aase et al, 2020) impliquant des chercheurs de Norvège, d'Angleterre, des Pays-Bas, d'Australie, du Japon et de Suisse sur une période de cinq ans (2018-2023).
Première grande étude de la résilience sur la capacité d'adaptation des soins de santé en contexte, il aborde 5 questions essentielles (Wigg et al, 2021) :
Ce projet RiH a publié de très nombreux résultats tout au long des 5 ans. Il a conduit à formuler 8 conseils et recommandations à l'intention des décideurs politiques, qui sont repris ci-dessous ("From Theory to Policy in Resilient Health Care", Wiig et al, 2024) :
La résilience et les performances résilientes dans les systèmes adaptatifs complexes sont considérées comme une responsabilité du système. Mais cette performance du système nécessite des actions de la part des individus et collectifs qui composent ce système. Les systèmes dépendent d'individus capables de saisir les opportunités et de gérer le stress, de s'adapter aux changements et aux défis du travail quotidien et de continuer à travailler malgré les contraintes physiques et mentales. Cet état de fait impose au système et à ses dirigeants de penser des mécanismes et organisations résilientes de gouvernance, tout en investissant aussi dans des approches plus personnalisées.
Les patients et leurs familles jouent un rôle fondamental dans la résilience, de manière directe et indirecte. Mais trop souvent, ils ne sont pas considérés comme faisant partie de l'équipe ou comme des partenaires dans les soins. Le programme RiH suggère de mettre la priorité sur le développement des compétences des patients pour leur pathologie, la transparence et l’information sur toutes les difficultés rencontrées dans les soins, et surtout la reconnaissance et la prise de conscience de leur rôle central en tant que sources de résilience. L'implication des patients et des familles ne doit pas seulement se traduire par des stratégies d'engagement, mais elle doit devenir un élément à part entière de la culture organisationnelle.
La capacité de résilience se rapporte à une aptitude réelle ou potentielle à fonctionner ou à résister au stress. Le programme RiH a permis de développer un cadre d’analyse des capacités de résilience qui peut servir à des diagnostics de terrain dans des contextes les plus variés (le Resilience Capacities Framework) ; il documente 10 capacités de résilience : structure, apprentissage, alignement, coordination, leadership, conscience du risque, implication, compétence, facilitation et communication. Un tel diagnostic doit être partagé pour favoriser les débats entre les parties prenantes, et servir à tirer des leçons et piste d’amélioration pour résister au mieux compte tenu des faiblesses identifiées.
Une culture de l'apprentissage met l'accent sur l'élément collaboratif de l'apprentissage, sur le fait que les membres des organisations s'adaptent et apprennent ensemble au travail.
Le programme RiH constate que la plupart des professionnels de la santé, y compris les décideurs politiques, sont bien conscients de l'importance d'apprendre des succès et de ce qui fonctionne bien, mais la traduction dans les faits de ces retours d’expérience positifs à des fins d’apprentissage reste encore anecdotique sur le terrain. Les professionnels et les patients ont souvent du mal à identifier les éléments positifs dans leur travail quotidien, parce qu'il est usuel que les choses se passent bien. Les gens considèrent cela comme acquis et passent rapidement à la tâche suivante. Il existe peu d'outils qui incitent à tirer des leçons des succès.
L’équipe norvégienne du projet RiH s’est attelée à ce manque, et a intégré théorie, concepts et principes d'apprentissage de la résilience dans un outil d'apprentissage de la résilience en libre accès. Cet outil a été mis en œuvre et évalué avec des résultats positifs dans différents contextes de soins de santé norvégiens et il est maintenant traduit en anglais.
Les décideurs politiques devraient imposer réglementairement de fournir un retour d'information et de signalement sur ce qui fonctionne bien pour diffuser ces informations dans l'ensemble de leur système et des formations.
Les contextes de soins ne restent pas figés pour un établissement ou un service. Ils varient parfois même dans la journée.
Une connaissance approfondie de ces variations peut étayer et particulariser les processus d'apprentissage. La description des principales familles de contexte est importante pour organiser et évaluer la résilience spécifique à acquérir pour chaque cas, tant dans l’organisation que dans le soin.
Parmi les contextes fréquents qu'il convient de comprendre figurent les difficultés rencontrées par le personnel, par exemple la charge de travail du personnel, l'émergence de divers types de risques auxquels les personnes sont confrontées, ainsi que la complexité, les technologies et les processus de travail. La connaissance des contextes réels de soins doit aussi faire partie intégrante des processus d'évaluation et doit être valorisée en tant qu'atouts pour soutenir une performance résiliente. L'organisation doit disposer d'une marge de manœuvre suffisante, pour tirer parti des connaissances spécifiques au contexte.
C’est un résultat fondamental du projet RiH.
Le leadership relationnel se concentre sur la dynamique sociale de la formation et l'évolution nécessaire du leadership de sécurité.
Rappelons que pour l'approche Safety 1 classique (plus de détails sur Safety 1/Safety 2 dans cet article : "Safety 2 : signaler le positif dans le travail, du rêve à la réalité difficile"), le leadership s’exerce à travers le respect des recommandations de bonnes pratiques, des check-lists et des contrôles divers dans le but de réduire les dommages. Le projet RiH rajoute l'importance des éléments relationnels nécessaires en plus de ces éléments structurels. Le leadership relationnel est, par exemple, assuré par des responsables de soins de santé qui doivent se soucier réellement de leur personnel et le connaitre en l’accompagnant pour trouver un bon équilibre entre vie privée et vie professionnelle, qui s'adaptent constamment aux besoins personnels et aux croyances du personnel, et qui mettent en place des équipes qui sont compétentes et qui ont la possibilité d'apprendre et de se développer au fil du temps.
Cela peut sembler idéaliste, mais les résultats sont sans ambiguïté : le leadership relationnel et la compréhension relationnelle sont des piliers essentiels pour que les futurs responsables des soins de santé pour soutenir des systèmes de soins de santé résilients.
Les soins de santé résilients préconisent une compréhension multiniveaux de la résilience (micro, méso et macro). Les performances résilientes sont liées et dépendent de facteurs allant du microsystème clinique aux équipes, aux organisations, décideurs politiques et régulateurs.
Décideurs et régulateurs doivent reconnaître, soutenir et même exiger des plateformes réglementaires permettant cette réflexivité et l’analyse partagée des stratégies d’adaptation observées sur le terrain, qu’elles soient mauvaises et à éviter à l’avenir, et surtout qu’elles soient bonnes, couronnées de succès, et à diffuser.
C’est l'un des fondements des progrès à attendre d’un système résilient dans les organismes de soins de santé.
La capacité d'adaptation dans les soins de santé est synonyme de flexibilité et repose sur le recadrage, l'alignement, l'adaptation et l'innovation, en réponse aux demandes externes et internes provenant de différents niveaux organisationnels, afin de garantir la qualité des soins.
Le Projet norvégien RiH ajoute à ces 8 recommandations, 4 éléments facilitateurs de la capacité d'adaptation que les décideurs politiques doivent prendre en compte et promouvoir positivement :
Les adaptations doivent aussi être contrôlées et associées à une compréhension du contexte pour s'assurer qu'elles ne sont pas simplement des solutions de fortune masquant les déficiences du système, mais qu'elles sont au contraire des solutions de rechange qui permettent d'améliorer le système.
Pour aller plus loin
À lire aussi